lundi 3 février 2014

Dérisoirement intelligent ?

Samedi, nous étions sous la pluie, pour soutenir le droit à l'avortement en Espagne et en Europe. Quelques milliers de personnes sous leurs parapluies, des femmes surtout, de tous âges, et un peu d'hommes qui considèrent que les droits des autres raffermissent nos propres droits. Les pieds trempés, on était heureux de défendre ce droit qu'on pourrait croire acquis, mais fragile quand on le délaisse.
Et dimanche, le lendemain, on était bien décidés à aller voir QUI sont ces personnes qui vont défiler avec des enfants contre le mariage déjà ouvert à tous les couples, ceux qui vont faire du bruit pour dire qu'ils ne veulent pas d'éducation identique pour les filles et les garçons dans les écoles, ceux qui refusent à certains couples le droit d'être des familles.

Place Bellecour, j'ai ri en voyant l'écran géant avec un énorme "69" brillant en surimpression sur le logo de la famille rêvée de la ManifPourTous... J'ai sans doute l'esprit mal tourné, mais en tout cas moins mal tourné que ceux qui ont fait courir la rumeur qu'on allait apprendre aux enfants à se masturber (alors que tous les enfants le découvrent seuls sans que personne ne l'enseigne).
Puis on entend au micro (alors que la place est déjà vide), que la tête du cortège est déjà devant l'Hôtel-dieu, quai du Rhône. Déjà ? On va de ce pas vérifier :
Encore un mensonge de cette organisation, on commence à avoir l'habitude...

Mais puisqu'on était là, on a attendu que le cortège arrive. Occasion de vérifier encore une fois une constante : c'est TRES catholique. Non seulement c'est blanc, uniformément blanc européen, mais les familles présentes étaient vestimentairement proches des Le Quesnoy dans La vie est un long fleuve tranquille, et je ne parle pas des nombreux religieux présents en costumes tradi', des crucifix, des fleurs-de-lys et autres symboles de groupes catholiques. Mais après tout, chacun s'habille comme il veut, non ?... C'est juste que les vestes Barbour sont en solde en ce moment, voilà tout.
Une surprise (heureuse ?) tout de même : pas de groupe néo-nazi (Jeunesses Nationalistes, Identitaires, et consors).
Dans le cortège, je découvre deux élus de l'arrondissement, les De Lavernée : Inès, conseillère municipale (Parti Chrétien Démocrate créé par Christine Boutin), et Albéric, vice-président UMP au conseil général du Rhône. Je les prends en photo, pour archive (on voit tant d'élus qui ont la mémoire courte, ça ne coûte rien et c'est tout à fait légal).
Voyant cela, ils s'approchent de nous qui étions sur le trottoir et nous demandent : "Vous faites partie de quel groupe ?" Et nous de leur répondre :
" Nous sommes juste deux hommes homosexuels.
- Mais c'est pour quelle association ?
- Aucun groupe ou association, nous sommes deux citoyens du 2e arrondissement.
- D'accord. Et qu'est-ce que vous pensez de cette manifestation ?
- Ca pourrait me mettre en colère, mais avant tout ça me fait mal."
Forcément, ça intrigue. Mais monsieur et madame sont restés à discuter avec nous (en plein vent glacial) une demi-heure, à propos du mariage pour tous.

J'ai pris la peine de refuser d'emblée l'argument "anthropologique" à propos du mariage, parce que le mariage est un rite, un contrat, et que ça n'a rien de naturel, Cro Magnon ne se mariait pas, pas plus que les bonobos ou les dauphins, et les mariages homosexuels ont existé et existent dans d'autres sociétés humaines.
Ils refusaient que l'on puisse penser que s'opposer au mariage ouvert à tous les couples est de l'homophobie. Arguments religieux, citations de la bible et de saints, tout ça ne me semble pas avoir beaucoup d'intérêt quand on regarde les horreurs qui sont écrites dans le premier tome ("Ancien Testament"). Les arguments sur la filiation étaient plus sérieux : après tout, le mariage est là pour protéger les couples et les familles. 
On était d'accord sur un seul thème : l'adoption par une ou un célibataire est aberrant dans la logique du Code Civil, un artifice créé après guerre pour régler des situations particulières. D'accord aussi sur un point politique : Sarkozy n'a pas respecté sa promesse de créer un contrat d'union civile pour les couples homosexuels, il a fait une erreur (même si le sens de cette erreur n'est certainement pas le même pour eux que pour nous).

Peuvent-ils admettre qu'un couple de deux hommes ou deux femmes avec des enfants forment une famille ? Je ne crois pas qu'ils aient répondu clairement.
Peuvent-ils admettre que, si l'on refuse le mariage aux couples de même sexe, il faut alors le refuser aux personnes stériles, aux personnes âgées ? Selon eux il y a une différence "symbolique"... Alors évidemment, dans le registre symbolique, on arrive rapidement au bout des arguments objectifs.

Une question m'a amusé tout de même : "Vous êtes juriste ?", parce que j'avais parlé de Cambacérès et du Code Napoléon, de la loi sur l'adoption par un célibataire au début du XXe siècle et précisé que le délit d'homosexualité avait été rétabli par Vichy... Non, je ne suis pas juriste, mais je m'intéresse à mes droits et à leur histoire dans mon pays, depuis mon adolescence, parce que je suis né "malade" au sens des psychiatres avant 1987 (voire 1992), parce que je ne comprends pas qu'on me refuse les mêmes droits que tout concitoyen alors que je respecte la nation et ses lois.
Avec cette question naïve de madame de Lavernée,  j'ai réalisé alors l'asymétrie de notre débat : nous savions qui ils sont, ils ne savaient rien de nous.

L'échange était vif (comme le froid), mais tout à fait courtois, nous avons même pu rire à quelques moments. Personne n'a convaincu personne, mais j'ose espérer qu'ils réfléchiront désormais différemment sur les couples homosexuels et l'égalité des droits ou la nature d'une famille.
De mon côté, j'étais un peu apaisé : on peut discuter intelligemment avec des opposants au mariage pour tous les couples. 

Manifester avec 1000 personnes à Lyon sous la pluie pour défendre un droit décidé à Madrid, c'est peut-être dérisoire, mais il me semble c'est une condition pour nous sentir citoyens, acteurs de nos vies, de l'humanité entière. Pas besoin d'une divinité ou d'un homme providentiel, il faut être responsable.